Quelle poursuite du contrat de travail en cas d'incarcération du salarié ?

Quelle poursuite du contrat de travail en cas d'incarcération du salarié ?
Alors que l’incarcération d’un employeur n’est pas constitutive d’une suspension du contrat de travail (Soc. 5 mai 2004, n°03-10.010) ni un motif de rupture, la situation est différente en cas d’incarcération d’un salarié. En effet, un salarié en prison quant à lui, voit son contrat suspendu en principe ce qui implique le maintien du contrat de travail. Toutefois malgré le maintien du contrat de travail du salarié, celui-ci ne peut pas exécuter ses obligations contractuelles en raison de son absence, il n’a donc pas le droit au versement de son salaire.

Du principe de suspension du contrat de travail du fait de l’emprisonnement du salarié découle les questions suivantes :

Un salarié détenu ou incarcéré peut-il se voir imputer la rupture du contrat de travail ? L’employeur peut-il sanctionner ou licencier un salarié du fait de sa détention ou de son incarcération ? Dans une telle hypothèse, comment se déroule la procédure de licenciement ? Maître Johan Zenou, expert en droit du travail à Paris 20ème, répondra à ces questions.
 

I. La possibilité de licencier le salarié en prison

 
Le contrat de travail d’un salarié en prison est suspendu en principe, mais il est possible que le salarié soit licencié en vertu de l’article L.1231-1 du Code du travail qui dispose que « le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ». Il faut distinguer si le salarié est en prison dans le cadre d’une détention provisoire, ou s’il est incarcéré à la suite d’une condamnation pénale, l’emprisonnement ne peut dans ces deux hypothèses, constituer en lui-même le motif de licenciement.
 
A) La détention provisoire
 
Lors de la détention provisoire, le salarié est présumé innocent puisqu’il n’a pas été déclaré coupable par un juge. Le placement en détention provisoire entraîne la suspension du contrat de travail du salarié qui ne peut pas être licencié en raison de son absence, celle-ci étant justifiée. Dès lors qu’elle n’entraîne pas une désorganisation et ne trouble pas le fonctionnement de l’entreprise, le salarié ne peut pas être licencié pour le fait tiré de sa vie personnelle (soc., 21 novembre 2000 n° 98-41.788). Mais encore faut-il que l’employeur ait été informé de la mise en détention du salarié (soc. 29 octobre 2008 n° 06-46.189) car à défaut, il peut licencier le salarié pour abandon de poste entrainant une désorganisation de l’entreprise (soc. 20 mai 2015 n° 14-10.270).

Néanmoins, si la détention provisoire entraîne une désorganisation de l’entreprise, le licenciement pourra être prononcé, cela implique que l’absence doit prolongée et que le remplacement du salarié est nécessaire. A titre d’exemple, une détention provisoire de 18 mois est considérée comme une absence prolongée entrainant la nécessité de remplacer le salarié, le salarié ayant été condamné à une peine de prison à la suite de sa détention (soc., 3 avril 2001 n°99-40.944). Également, puisque le salarié est présumé innocent, le trouble dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise justifie une cause réelle et sérieuse de licenciement et non un licenciement disciplinaire (soc., 26 janvier 2010 n°08-41.052).
 
B) L’incarcération
 
Dans l’hypothèse d’une incarcération, le salarié a été reconnu coupable par un juge et a été condamné. En principe, si les faits commis sont indépendants du contrat de travail, ils ne peuvent justifier le licenciement, dès lors qu’il n’y a pas de trouble au fonctionnement ou à l’organisation de l’entreprise. Le salarié pourra cependant être licencié si son absence prolongée cause un trouble anormal au fonctionnement, ou à l’organisation de l’entreprise ou si son incarcération cause une atteinte à l’image de l’entreprise. L’employeur doit alors démontrer le trouble causé à l’entreprise, à défaut le licenciement sera considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.

Une longue incarcération peut justifier le licenciement si l’employeur doit remplacer le salarié (soc., 10 juin 1998 n°96-40.708). L’employeur peut également invoquer des faits commis durant l’exécution du contrat de travail pour justifier un licenciement pour faute, dès lors que les faits fautifs ont été commis dans les deux mois précédents le licenciement. L’incarcération d’un salarié ne constitue pas un cas de force majeure, seule la faute grave peut le priver de l’indemnité de licenciement (soc., 15 octobre 1996 n°93-43.668). Dès lors, si le contrat de travail est un CDD, l’employeur qui veut licencier le salarié devra prouver l’existence d’une faute grave. Le salarié doit informer l’employeur de son incarcération, à défaut il peut être licencié pour faute grave en raison de son absence prolongée (soc., 20 octobre 1999 n°97-44.631). Toutefois, avant de le licencier, l’employeur est dans l’obligation de mettre le salarié en demeure de justifier son absence sinon le licenciement pourra être considéré comme abusif (soc., 22 septembre 2015, n° 14-15.293).
 
Précisions enfin qu’en cas de relaxe du salarié, c’est-à-dire que les faits reprochés au salarié ne sont pas suffisamment caractérisés et n’ont pas permis sa condamnation, ceux-ci ne peuvent pas justifier un licenciement en raison de l’adage selon lequel « le pénal tient le civil en l’état ». Donc si l’employeur licencie le salarié pour ces faits malgré la relaxe, le licenciement sera en principe sans cause réelle et sérieuse (soc., 8 févr. 2000, n°97-45.426). A moins que le comportement du salarié trouble la bonne marche de l’entreprise (soc., 12 mars 1991 n°88-43.051), qu’il constitue un manquement professionnel caractérisé distinct de la faute pénale (par exemple, un comptable soupçonné de détournement de fonds mais relaxé pour recel d’escroquerie : soc., 4 mai 1994 n°91-40.945) ou que malgré la relaxe pour défaut d’élément intentionnel, les faits reprochés constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement (soc., 18 octobre 1995 n°94-40.735).
 
C) L’impossibilité d’imputer la rupture du contrat de travail au salarié en prison
 
L’employeur ne peut pas considérer que le salarié a démissionné s’il ne se rend pas au travail du fait de l’incarcération ou de la détention provisoire, la démission ne se présume pas, elle doit être claire et non équivoque (soc., 7 février 1990 n°87-45.340). Il ne peut pas non plus prendre acte de la rupture du contrat de travail de ce fait, puisque l’incarcération et la détention provisoire ne sont pas considérées comme étant un cas de force majeure (à propos de la détention provisoire : soc. 14 mai 1997, CSB 1997. 218 ; à propos de l’incarcération : (soc., 15 octobre 1996 n°93-43.668). L’employeur ne peut pas, plus généralement, prendre acte de la rupture du contrat de travail même en cas de détention ou d’incarcération d’un salarié, la prise d’acte étant un mode de rupture appartenant uniquement au salarié, à défaut, la rupture s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (soc., 25 juin 2003 n°01-41.150).
 
En revanche, le salarié qui souhaite rompre son contrat de travail malgré son incarcération peut le faire dès lors que la procédure est régulière. Ainsi, un salarié incarcéré qui démissionne en exprimant une volonté claire et non équivoque sans qu’aucune contrainte n’ait été exercée à son encontre, est considérée comme une démission valable (soc., 17 juillet 2001 n° 99-42.223).
 

II. La procédure de licenciement du fait de l’incarcération

 
L’employeur qui licencie un salarié en prison doit respecter la procédure de licenciement prévue par le Code du travail. Dès lors, il est dans l’obligation de convoquer le salarié à un entretien préalable au licenciement et il devra à la suite de l’entretien, lui notifier le licenciement. La lettre de convocation à l’entretien préalable doit respecter les modalités prévues par l’article L. 1232-2 du Code du travail, l’employeur doit notamment informer le salarié de sa possibilité de se faire représenter pour qu’il puisse donner des explications (CA Paris 11 juillet 1991 n° 91-31904). Puisque la tenue de l’entretien ne peut pas sa faire moins de cinq jours ouvrables, après la convocation du salarié en vertu de l’article précité, si le salarié ne peut pas se rendre à l’entretien en raison de sa détention ou de son incarcération, un délai plus long doit être laissé au salarié pour qu’il puisse s’expliquer sur le comportement, qui lui est reproché ou pour qu’il soit représenté. La lettre de notification du licenciement devra respecter les modalités prévues par l’article L.1232-6 du Code du travail.

Pour que la procédure soit régulière, les lettres devront être envoyées au lieu de détention du salarié et non pas à son domicile. En revanche, si l’employeur n’a pas été informé de l’incarcération du salarié et qu’il envoie la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement au domicile du salarié, la procédure est considérée comme régulière (CA Douai 1er avril 1980 n° 78-2720, 5e ch. soc. Section A).  

Lorsque le salarié faisant l’objet du licenciement est un salarié protégé, la procédure de licenciement prévue par les articles L.2411-1 et suivants du Code du travail qui lui est relative doit aussi être respectée. L’employeur doit donc consulter le CSE, convoquer le salarié à un entretien préalable et demander l’autorisation de licenciement à l’inspection du travail. Le respect de cette procédure du salarié protégé en prison a été rappelé par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation (soc., 19 déc. 1990, n°88-40.189).

Les délais de prescription doivent aussi être respectés malgré la détention ou l’incarcération du salarié. Le délai de deux mois en cas de faute est toutefois interrompu que l’employeur soit partie civile ou non. Le délai de deux mois prévus par l’article L.1332-4 du Code du travail, ne commence à courir qu’au jour du prononcé de la condamnation pénale (soc., 15 juin 2010 n°08-45.243). Si l’employeur envisage un licenciement pour faute, l’incarcération ne peut pas constituer la faute puisqu’il s’agit d’un fait tiré de la vie personnelle du salarié. Le licenciement pour faute doit donc reposer sur une faute professionnelle.
 
A l’issu du licenciement, le salarié aura droit aux indemnités qui lui sont relatives, sauf si la faute grave a été retenue. Le salarié incarcéré pourra bénéficier de l’indemnité compensatrice de congés payés. Notons que si l’employeur ne prononce pas de licenciement car il n’y a pas de trouble à l’entreprise tant dans son fonctionnement et son organisation qu’à son image, et qu’il n’a pas de faute à reprocher au salarié, ce dernier devra être réintégré à son poste à l’issue de son incarcération.

Si vous êtes employeur et qu’un salarié de votre entreprise se retrouve détenu provisoirement ou incarcéré, et que vous avez un doute sur vos droits, n’hésitez pas à contacter le Cabinet ZENOU en droit social à Paris 20ème vous aidera afin de vous délivrer de précieux conseils.

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