« L’arrêt maladie est souvent perçu comme un bouclier. En réalité, il s’agit davantage d’un parapluie : utile, mais loin d’être infaillible. »
Dans l’imaginaire collectif, l’arrêt maladie protège le salarié contre toute mesure de licenciement. Beaucoup pensent — à tort — que tomber malade ou être placé en arrêt de travail met automatiquement le contrat de travail « sous cloche », à l’abri de toute rupture. Cette croyance est profondément ancrée, au point d’être devenue une véritable légende du droit du travail.
La réalité juridique est pourtant bien différente.
Si l’état de santé d’un salarié ne peut jamais justifier, à lui seul, un licenciement, l’arrêt maladie n’instaure aucune immunité absolue. Dans certaines situations précises, un salarié peut parfaitement être licencié pendant son arrêt de travail, sans que la décision soit illégale.
Entre protection contre la discrimination et possibilité de rupture du contrat, le droit du travail opère un équilibre subtil, souvent mal compris.
C’est précisément cet équilibre que nous allons décrypter dans cet article, en répondant à une question simple, mais essentielle : peut-on être licencié pendant un arrêt maladie ?
L’arrêt maladie d’un employé ne saurait conduire à mettre en péril sa place dans l’entreprise. Pour prévenir tout comportement discriminatoire d’un employeur qui conduirait à vouloir licencier un employé en raison de son arrêt, le législateur a posé un principe général d’interdiction de licenciement d’un salarié en raison de sa maladie (I) ; toutefois le licenciement peut être licite durant l’arrêt maladie dans des conditions très encadrées (II).
La discrimination d’un salarié en raison de son état de santé (A), peut fonder la nullité d’un licenciement (B).
Le principe est clair : le licenciement d’un salarié en raison de sa maladie est strictement interdit par l’article L1132-1 du Code du Travail : « Aucune personne ne peut être […] licencié en raison de […] son état de santé. ».
Le cas échéant, il a été fermement rappelé par la Cour de cassation, qu’en application des articles L. 1132 1 et L. 1132 4 du code du travail, le licenciement serait nul. Ceci a par exemple été jugé dans un arrêt où le licenciement d’un salarié est intervenu « en raison de son état de santé » (Cass. soc., 11 juill. 2012, n° 10 15.905).
Lorsqu’un salarié invoque un licenciement discriminatoire fondé sur l’état de santé, il lui appartient d’apporter des éléments laissant présumer cette discrimination (contenu de la lettre, contexte : rappels répétés de ses arrêts maladie, rétrogradation après un arrêt, etc.).
Une fois cette présomption établie, c’est à l’employeur de prouver que sa décision repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination liée à l’état de santé (Cass. soc., 17 janv. 2024, n° 22 13.144). Le cas échéant, le licenciement sera frappé de nullité.
La jurisprudence illustre plusieurs cas où la nullité a été retenue, par exemple :
Lorsqu’un licenciement est reconnu nul car fondé sur l’état de santé (discrimination au sens des art. L. 1132 1 et L. 1132 4 du code du travail), le salarié peut demander sa réintégration dans l’entreprise. En cas de réintégration, il a droit au paiement d’une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait perçue entre son éviction et le jugement constatant la poursuite ou la résiliation judiciaire du contrat, sans déduction des revenus de remplacement éventuellement perçus. (Cass. soc., 11 juill. 2012, n° 10 15.905 ; Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11 28.734.).
Si le licenciement intervient pendant une période de protection spéciale (accident du travail / maladie professionnelle) et que le salarié ne demande pas sa réintégration, il a droit à une indemnité au moins égale à six mois de salaire, en application de l’article L. 1235 3 1, 6° du code du travail (licenciement exclu du barème), en plus de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis.
La nullité se distingue donc clairement du simple défaut de cause réelle et sérieuse : dans le premier cas, la rupture est censée n’avoir jamais existé et ouvre droit à réintégration et réparation intégrale ; dans le second, elle produit effet mais ouvre droit à des dommages intérêts dont le montant est encadré (sauf exclusions spécifiques).
Le salarié sera donc fondé à prétendre à sa réintégration s’il le souhaite, ou à des dommages-intérêts en réparation de son préjudice découlant d'un licenciement nul et à l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Cass. soc. 13 janvier 1998 : Bull. civ. V n° 9, RJS 2/98 n° 163). Il ne pourra en revanche prétendre à l'indemnité de préavis, dès lors que son état de santé ne lui aurait pas permis d'exécuter le préavis.
En régime « ordinaire » (maladie ou accident non professionnel), le salarié peut être licencié pendant son arrêt de travail, à condition que le motif soit réel et sérieux, et étranger à l’état de santé, pour éviter toute discrimination au sens de l’article L. 1132 1 du Code du travail.
Ainsi, plusieurs causes de licenciement peuvent valablement être retenues : une faute commise par le salarié (A), des difficultés objectives de l’entreprise (B), une inaptitude constatée par le médecin du travail (C).
Le salarié peut commettre une faute liée à la violation d’une obligation incombant au salarié malade (1°), soit avoir été commise avant l’arrêt de travail (2°). A noter que la suspension du contrat de travail induite par l’arrêt maladie conduit nécessairement à l'inexécution temporaire des obligations nées du contrat, et donc ce qui limite naturellement le champ des causes de rupture possibles.
Une faute peut être retenue contre le salarié s’il viole son obligation de loyauté durant l’arrêt maladie.
En effet, durant son arrêt maladie, l’employé reste assujetti au pouvoir disciplinaire de son employé. De ce fait, le salarié manque à son obligation de loyauté lorsqu'il vient sur le lieu du travail pendant son arrêt de maladie pour menacer son employeur de façon virulente pour le contraindre à accepter ses conditions de rupture du contrat de travail. Son licenciement pour faute grave est alors légitime (Cass. soc., 19 mars 2014, no 12-28.822). Il en est de même lorsque le salarié, à l'occasion d'une visite dans les locaux de l'entreprise pendant son arrêt maladie, tient des propos injurieux à l'encontre du personnel (Cass. soc., 25 juin 2002, no 00-44.001).
Toutefois, la Cour précise aussi un certain nombre d’activités qui ne violent pas l’obligation de loyauté. De manière générale, il n’y a pas de violation de l’obligation de loyauté si l’activité exercée pendant l’arrêt de travail ne cause aucun préjudice à l’employeur. Ainsi, sauf à démontrer l'existence d'un préjudice, ne constitue pas en soi un acte déloyal motivant un licenciement :
La cause de licenciement, toujours à condition d’être indépendante de la maladie, peut être antérieure à la suspension du contrat et justifier le licenciement durant cette dernière
Ainsi, le 27 février 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt no 11-27.130 que la maladie ne peut pas faire échec au licenciement disciplinaire pour une faute commise avant la maladie, pour laquelle une procédure disciplinaire suit son cours ou même (si la faute est venue à la connaissance de l'employeur durant cette période) est commencée pendant la maladie du salarié. Le délai de 2 mois pour entamer la procédure disciplinaire et celui d'un mois à compter de l'entretien pour notifier le licenciement s'appliquent. Ainsi, le délai de prescription des faits fautifs et le délai maximal de notification d'un licenciement disciplinaire n'est ni suspendu ni interrompu par la maladie.
En somme, la seule interdiction légale est celle de licencier le salarié à raison de son état de santé. Il en découle que le salarié victime d’une maladie ou d’un accident d'origine non professionnelle peut être licencié pendant la suspension du contrat de travail pour toute cause étrangère à la maladie, c'est-à-dire pour toute cause réelle et sérieuse pourvu qu'elle soit sans lien avec l'accident ou la maladie.
L'article L. 1132-1 du code du travail ne s'oppose pas au licenciement motivé par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement. En effet, l ’Assemblée plénière de la Cour de cassation a fixé le cadre de ce licenciement :
« Si l’article L. 1132 1 du Code du travail interdit de licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap, ce texte ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié ; celui ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié. » (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09 43.334).
La Cour dégage ainsi deux conditions cumulatives nécessaires à la licéité d’un tel licenciement :
Les difficultés économiques, la restructuration ou la cessation d’activités doivent être réelles, sérieuses et démontrées. Ainsi, a été jugé que le manquement de l'employeur à son obligation d'indiquer au salarié licencié pour motif économique les critères retenus en application de l'article L 321-1-1 du Code du travail ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse mais constitue une irrégularité qui cause nécessairement à l'intéressé un préjudice que le juge doit réparer en fonction de son étendue. (Cass. soc. 2 février 2006 n° 335 F-PB, AGS de Paris et a. c/ Faghel et a.M. Sargos).
En pratique, un licenciement pour motif économique pendant un arrêt maladie « simple » peut être légal s’il est solidement justifié par des éléments économiques objectifs, non discriminatoire, conforme à la procédure légale et aux clauses conventionnelles éventuelles ; en revanche, en présence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ou si la maladie joue un rôle déterminant dans la décision de rupture, la nullité du licenciement est fortement encourue.
Si le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, qu’il s’agisse d’une maladie professionnelle, d’un arrêt travail ou d’une maladie non professionnelle, l’employeur ne pourra licencier qu’après :
La Cour de cassation juge que la seule mention de l’inaptitude, même assortie de la référence à des recherches de reclassement infructueuses ou au refus d’un poste par le salarié, ne suffit pas : la lettre doit viser explicitement l’impossibilité de reclassement, faute de quoi le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 3 juin 2020, n° 18 25.757).
Pour les licenciements notifiés depuis le 1er janvier 2018, les articles L. 1235 2 et R. 1232 13 du Code du travail permettent néanmoins à l’employeur de préciser a posteriori les motifs dans un délai déterminé, ce qui peut atténuer les conséquences d’une insuffisance initiale de motivation (indemnité spécifique d’un mois maximum en cas de seule insuffisance de motivation, si le salarié n’a pas demandé de précisions).
Lorsque l’inaptitude fait suite à un AT/MP, la rupture injustifiée (absence ou insuffisance de reclassement, absence de consultation, etc.) ouvre droit, à défaut de réintégration, à une indemnité d’au moins 12 mois de salaire sur le fondement de l’article L. 1226 15.
Si vous interrogez sur la licéité d’un licenciement intervenu pendant un arrêt maladie, le Cabinet Zenou (Paris XII) répondra à vos questions et sera prêt à défendre vos intérêts en justice.
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