Chaleur excessive au travail : jusqu'où va la responsabilité de l'employeur et que prévoit le Code du travail ?

Chaleur excessive au travail : jusqu'où va la responsabilité de l'employeur et que prévoit le Code du travail ?

A l’actualité, le 1er juillet 2025, soit le jour de la date d’entrée en vigueur du décret n°2025-482 du 27 mai 2025, un jeune ouvrier exerçant dans le secteur du BTP décéda d’un malaise mortel à la suite de sa journée de travail sous la canicule. En effet, à une époque où le dérèglement climatique s’intensifie et que la hausse accrue des températures engendre des vagues de chaleur fréquentes, la situation des employés n’a jamais été aussi périlleuse. Parfois exposés à de lourdes chaleurs durant leurs heures de travail, le travail réalisé devient d’autant plus difficile que les conditions de travail deviennent invivables.

L’urgence de la situation presse les employeurs à agir afin de mettre en place des mesures protectrices de leurs salariés sous la contrainte de certaines obligations légales. C’est notamment le cas du décret n°2025-482 portant sur « la protection des travailleurs contre les risques liés à la chaleur » venant corroborer lesdites mesures protectrices afin de préserver au mieux les employés exerçant dans des conditions climatiques extrêmes. Ce décret s’inscrit dans la continuité du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) en date du 10 mars 2025 visant à intégrer le climat futur et à s’y adapter en considération du changement climatique.

Maître Johan Zenou expert en droit social dans le 20ème arrondissement de Paris vous présente à travers cet article, les nouvelles obligations devant être adoptées par l’employeur (I) puis les sanctions applicables en cas de manquement de la part de l’employeur (II).

 

(I)             Les nouvelles obligations incombant à l’employeur

Antérieurement au décret n°2025-482, des dispositions figuraient au sein du Code du travail afin d’encadrer au mieux les activités se réalisant durant des températures extrêmes et éviter tout sinistre. Notamment depuis l’ordonnance n°2007-329 en date du 12 mars 2007, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité et de protection de son employé dans la mesure où celui-ci doit « prend[re] les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (art L 4121-1 du Code du travail). Cette obligation constitue un devoir englobant un panel de chose, dont l’idée principale est que l’employeur est tenu de protéger la santé et la sécurité de son salarié durant ses heures de travail contre toute atteinte pouvant survenir durant ses mêmes heures de travail. En outre, cette responsabilité permet d’assurer la protection des salariés en cas de chaleur extrême car les conditions météorologiques peuvent causer de sérieuses répercussions sur les travailleurs pouvant aller de l’accident du travail jusqu’à l’accident mortel.

Afin d’accomplir au mieux cette obligation légale et prévenir les fortes chaleurs, différentes mesures doivent être mises en place par l’employeur. Celles-ci figurent au sein du Code du travail et sont supplées par les dispositions émanant du décret n°2025-482 venues encadrer au mieux les activités devenant de plus en plus dangereuses à cause du dérèglement climatique provoquant des vagues de chaleur récurrentes. La nouveauté est notamment que le décret énumère une liste figurant à l’article R. 4463-3 du Code du travail et listant les mesures que l’employeur doit mettre en place afin de réduire les risques liés à l’exposition durant les épisodes de chaleur intense.

En effet, l’employeur doit mettre en place des aménagements techniques de sorte à conserver un environnement de travail vivable. Notamment pour les employés exerçant des missions en extérieur, l’article R 4463-3 4° du Code du travail retient que l’employeur doit mettre en place « des moyens techniques pour réduire le rayonnement solaire sur les surfaces exposées ». Du moins, les employés exerçant leurs missions en intérieur n’en sont pas moins protégés, le même article émanant du décret indique que l’employeur doit également, à travers ces aménagements techniques, « prévenir l'accumulation de chaleur dans les locaux ou au poste de travail ». En outre, « l'employeur [doit] évaluer les risques liés à l'exposition des travailleurs à des épisodes de chaleur intense, en intérieur ou en extérieur » (art L 4463-2 du Code du travail) afin de les réduire et maintenir des températures raisonnables permettant de préserver l’état de santé des salariés.

De plus, il est nécessaire pour l’employeur de mettre à la disposition des travailleurs « de l’eau potable et fraîche » dont le but est de « leur permettre de se désaltérer et de se rafraîchir » (art R 4225-1 du Code du travail). La distribution d’eau s’élève à minimum trois litres d’eau par jour et par travailleur lorsqu’il n’y a pas d’eau courante à leur disposition, toutefois, afin de garantir l’hydratation des employés, l’article R. 4463-3 5° du Code du travail prévoit une « augmentation, autant qu’il est nécessaire, de l’eau potable fraîche mise à disposition des travailleurs ». L’approvisionnement en eau est un des éléments étayés par le décret car désormais l’article R. 4463-4 du Code du travail retient que :

« L’employeur prévoit un moyen pour maintenir au frais, tout au long de la journée de travail, l'eau destinée à la boisson, à proximité des postes de travail, notamment pour les postes de travail extérieurs. »

En outre, figurent désormais certains ajouts aux articles précédemment présents dans le Code du travail afin d’ériger un rempart contre les effets des « conditions atmosphériques », dont les conséquences se révèlent de plus en plus désastreuses. L’employeur doit notamment conserver les postes de travail extérieurs « de telle sorte que les travailleurs soient protégés contre les effets des conditions atmosphériques » (art R 4225-1 du Code du travail), ou encore prendre en compte les « conditions atmosphériques » afin de déterminer « les conditions dans lesquelles les équipements de protection individuelle sont mis à disposition et utilisés » (art R 4323-97 du Code du travail). Ainsi, le commettant doit mettre à la disposition des travailleurs des équipements adaptés à la chaleur afin de les protéger efficacement contre les conditions périlleuses, ces équipements ayant vocation à préserver leur sécurité et leur santé. Par ailleurs, l’employeur est tenu de veiller à ce que le risque d’exposition des travailleurs à des épisodes de chaleur intense figure au sein du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) servant à recenser les risques pour les évaluer et les prévenir au mieux.

Enfin, une faveur figurant au sein de la loi est désormais accordée aux travailleurs vulnérables à raison de leur âge ou de leur état de santé pour lesquels les conditions de travail se corsent rapidement. L’employeur se doit d’adapter, dès lors qu’il est informé de la vulnérabilité d’un de ses employés, les mesures de prévention en vue d’assurer la protection de la santé dudit travailleur selon les dispositions de l’article R. 4463-5 du Code du travail. De même, une attention particulière est portée aux travailleurs exerçant des missions en extérieur. Des mesures relatives à l’organisation du travail, à l’aménagement des postes ou encore aux tenues de travail doivent être mises en place afin de limiter l’exposition à la chaleur. Par exemple, les salariés doivent bénéficier de temps de pause à l’ombre, ainsi que d’horaires aménagés afin d’éviter de travailler en plein soleil conformément aux dispositions de l’article R. 4463-3 1° et 3° du Code du travail.

L’employeur est tenu de mettre en œuvre ces mesures dès lors que les températures intenses surviennent. Toutefois, la question se pose de savoir à partir de quel instant l’employeur est dans l’obligation de déployer lesdites mesures préventives sous peine d’être sanctionné. Le décret y apporte une réponse davantage éclairée en posant un seuil de vigilance opposable au niveau national. En effet, Météo-France arbore un référencement permettant de différencier les situations critiques de celles qui le sont moins, conformément au décret d’application, « l’épisode de chaleur intense est défini par référence à un dispositif développé par Météo-France pour signaler le niveau de danger de la chaleur » (art R 4463-1 du Code du travail). En effet, l’arrêté d’application fixe des seuils de vigilance de manière claire. Une distinction est établie entre les seuils de vigilance vert, jaune, orange et rouge, ces couleurs symbolisant le degré de gravité des températures. Le niveau de vigilance vert, correspondant au niveau 1, indique qu’il n’y a pas de vigilance particulière. Le niveau de vigilance jaune recommande d’être attentif. Le niveau de vigilance orange préconise d’être très vigilant. Tandis que le niveau de vigilance rouge, étant le niveau 4, impose une vigilance absolue.  Par exemple, la canicule correspond au seuil de vigilance orange.  De même l’atteinte du seuil de vigilance météorologique impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour garantir la préservation de la santé des salariés et la conservation des conditions de travail décentes.

 

(II)           Les sanctions en cas de manquement de la part de l’employeur

 Lesdites obligations précitées vont de soi afin de préserver la santé et les conditions de travail des employés qui sont indispensables afin que celui-ci puisse réaliser le travail de manière efficace. Cependant, tous les employeurs ne les mettent pas en œuvre si facilement car celles-ci demandent un coût et les investissements à engager peuvent facilement être onéreux. Toutefois, ce manquement ne reste pas sans sanction, les employeurs et les syndicats peuvent agir contre l’employeur défaillant.

Dès lors que l’employeur n’entreprend pas ces mesures ou que celui-ci le fait de manière partielle mais insuffisante, cela constitue en clair un manquement à l’obligation de sécurité qui lui incombe. Dans cette hypothèse, on considère que ce dernier n’a pas pris les mesures suffisantes afin de protéger son salarié d’un potentiel accident alors même que cela découle de sa responsabilité. Ainsi, la survenance d’un accident du travail peut révéler une faute inexcusable de l’employeur à condition qu’il soit démontré que ce dernier avait conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. En outre, en cas de blessure involontaire ou d’homicide involontaire causé par le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu, la responsabilité pénale de ce dernier peut être engagée.

Il est utile de préciser que depuis l’entrée en vigueur du décret n°2025-482, il est plus aisé d’admettre des sanctions dans la mesure où il y a davantage de textes préconisant les différentes obligations de l’employeur. Antérieurement à cette décision émanant du pouvoir exécutif, le référentiel était l’obligation de sécurité de l’employeur apparaissant à l’article L. 4121-1 du Code du travail en cas d’accident lié à la chaleur. Désormais, il est possible de se référer au chapitre additionnel figurant au sein du titre VI du livre IV de la quatrième partie du code du travail et régissant la « prévention des risques liés aux épisodes de chaleur intense » listant par ailleurs un lot de mesures que l’employeur doit mettre en place afin d’assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés. Au sein de ce nouveau chapitre III, les mesures figurent notamment des articles R. 4463-1 jusqu’au R. 4463-8 du Code du travail.

Différentes perspectives s’ouvrent au salarié afin de dénoncer le comportement défaillant de son employeur. La mesure la plus intuitive est de saisir l’inspection du travail s’il estime que l’employeur a failli à son obligation de sécurité et de protection de la santé de ses employés. Dans le même raisonnement le salarié peut saisir le comité social et économique (CSE) de son entreprise afin de dénoncer le comportement défaillant de son employeur. Dans ces deux hypothèses, l’organisme mènera une enquête afin de constater le manquement et par la suite il sera possible de prendre les mesures nécessaires afin de reconnaitre la faute inexcusable de l’employeur ou d’engager sa responsabilité pénale.

 En outre, en cas de situation d’urgence et notamment lorsque la menace est immédiate et que le salarié est au bord du malaise, ce dernier dispose d’un droit de retrait en vertu de larticle L. 4131-1 du Code du travail. Cet article affirme que :

« Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection ».

En effet, le salarié estimant qu’un « danger grave et imminent » est présent sur son lieu de travail peut mettre en œuvre son droit de retrait lui permettant de refuser de travailler et donc de quitter son poste de travail sans l’accord préalable de son employeur. Ce droit intervient afin de prévenir tout sinistre, l’employé ne doit pas attendre d’être au plus proche de l’accident afin de pouvoir réagir mais il doit être en mesure de le faire dès lors qu’il sent que la situation est critique. Aucune condition spécifique ne doit être remplie par l’employeur si ce n’est le fait d’être en cours d’exécution de son contrat de travail. Toutefois, il est recommandé d’alerter en amont son employeur ou un responsable hiérarchique du retrait, notamment en exposant les motifs incitant le salarié à exercer ce droit. Par ailleurs, ce dernier doit avoir des motifs raisonnables de penser qu’il se trouve dans une situation dangereuse dont résulte un péril grave et imminent. Ce danger peut notamment émaner des fortes chaleurs rendant le travail invivable et constituant un réel risque pour l’employé qui sur son lieu de travail subit les effets des vagues de chaleur sans que son employeur mette en place les mesures protectrices qu’il est pourtant contraint d’appliquer.

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