Le forfait jours : une autonomie qui augmente la charge de travail des cadres ?

Le forfait jours : une autonomie qui augmente la charge de travail des cadres ?
Il subsiste dans l’inconscient de tous que les cadres ne comptent pas leurs heures. Il ne s’agit pourtant pas d’une idée reçue. En effet, les salariés cadres ne sont pas soumis au 35h de travail et connaissent dans la majorité des cas des journées à rallonge. Cependant la population cadre est en constante progression en France. Ils ne représentaient que 5% en 1982 alors qu’aujourd’hui ils représentent 20% de la population active. En outre, seulement 1% des cadres sont sur le rythme des 35 heures en réalité un cadre sur deux travaille plus de 50 heures par semaine. Le rythme supérieur à 60h hebdomadaires concerne même plus de 10% des cadres d’après l’INSEE.

Aucune définition n’est strictement donnée par le Code du travail du statut de cadre. Il définit en son article L3111-2 uniquement le statut de cadre dirigeant. Par conséquent c’est à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qu’est revenue la lourde tâche d’en définir les contours en caractérisant ce statut par l’expertise ainsi que les responsabilités qu’il nécessite. Le salarié cadre est donc dans la pratique soumis à de nombreuses responsabilités.

Par ailleurs, il dispose d’une expertise dans un domaine spécifique, et une certaine autonomie pour atteindre ses objectifs. De plus, le salarié cadre est très souvent chargé de manager une équipe pour la mener vers l’obtention de résultats dans l’intérêt de l’entreprise.

Afin de mener à bien l’ensemble des prérogatives que lui confère son statut, le salarié cadre bénéficie du forfait jour, ces heures de travail ne sont donc pas comptabilisées, ce qui le contraint dans la plupart des cas à effectuer des semaines très chargées, ce qui ne lui permet pas de dissocier ces heures de travail et son repos bien mérité.

Maître Johan ZENOU, expert en droit du travail vous présente, dans cet article, ce qu’est le forfait jours (I) ainsi que les avantages et inconvénients que ce statut confère au salarié cadre (II).
 
I. Le forfait jours, un accord strictement encadré

Le forfait jours est clairement défini par le Code du travail (A), qui encadre la comptabilisation de la durée de travail d’un salarié cadre (B).

A) La définition du forfait jours

Le forfait jours est défini par l’article L.3121-63 du Code du travail qui rappelle que la durée de travail du salarié n'est pas comptabilisée en heures. Ce dernier est alors tenu de travailler un certain nombre de jours dans l'année. Bien évidemment, il est à rappeler que la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit. Cette convention doit prévoir notamment le nombre de jours compris dans le forfait.

Il est à noter que ce nombre de jour est limité à 218, cependant comme les autres salariés, le cadre soumis au forfait jours, a droit à un temps de repos quotidien de 11 heures consécutives comme en dispose le Code du travail en son article L.3121-54. De plus, l’employeur exerce un suivi très rigoureux. Ainsi en pratique, il n’est pas possible de travailler moins de jours que ceux fixés par l’accord ou la convention. Toutefois, si le salarié travaille moins de jours que prévu dans la convention, quel que soit le motif, il n’est pas tenu de reverser de rémunération à son employeur.

Le forfait jours est en réalité un accord entre l’employeur et le salarié permettant de décompter le temps de travail en jours et non en heures. Le salarié est autonome dans l’organisation de son emploi du temps. Le forfait jours n’est pas réservé seulement aux salariés cadres, le Code du travail dispose en son article L.3121-58 que les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie, dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités, qui leur sont confiées peuvent également bénéficier de ce statut.

Les non-cadres peuvent donc être soumis, au forfait jours. À partir du moment où leurs activités professionnelles demandent beaucoup d’autonomie en raison de leur charge de travail et de leur responsabilité. En outre, la convention de forfait jours peut être déclarée, nulle, lorsque l’accord collectif l’instituant ne respecte pas les dispositions légales, ou que le salarié ne remplit pas les conditions pour en bénéficier, ce qui anéantit l’acte rétroactivement, celle-ci peut être privée d’effet, lorsque la convention a été conclue sans vice mais que l’employeur n’a pas respecté les obligations qui en découlent, ce qui suspend l’application de la convention jusqu’à ce que l’employeur respecte ses obligations. 

Attention : Tout salarié souhaitant contester sa convention de forfait, se doit de mettre en balance ses demandes. S’il demande une indemnisation au titre des heures supplémentaires effectuées, alors il devra rembourser les sommes perçues au titre des jours de repos dont il a bénéficié en application de la convention. (Cass. soc., 6 janvier 2021, n° 17-28.234)

La définition du forfait cadre étant établie, il reste maintenant opportun de vous informer sur la manière dont sont comptabilisées les heures de travail d’un salarié cadre (B).

B) La comptabilisation de la durée de travail d’un salarié cadre 

Comme expliqué précédemment, le salarié cadre n’est donc pas soumis au respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail de 35 heures. Le cadre dispose donc de la possibilité de travailler plus ou moins en fonction de l’organisation de ses journées de travail.

À savoir : Le salarié cadre n’étant pas soumis à des contraintes horaires, très souvent les 11 heures consécutives de repos ne sont pas respectées. Les cadres travaillent en moyenne 44,6 heures par semaine selon une étude de la Dares publiée en juillet 2015. Cela monte même jusqu’à 50 heures par semaine, pour 39 % des interrogés.

La limite de 218 jours de travail encadrée notamment par le Code du travail peut être dépassée. Le cadre peut aller au-delà des 218 jours prévus par la convention s’il renonce à une partie de ses jours de repos. Cette renonciation doit cependant être formalisée par écrit avec votre employeur.

Il est à noter que, si le salarié cadre fait le choix de renoncer à une partie de ses jours de repos, il ne peut pas travailler plus de 235 jours dans l'année, sauf si l'accord ou la convention applicable dans l'entreprise prévoit une durée différente (supérieure ou inférieure). Le décompte des jours travaillés fera en tout état de cause l’objet d'un suivi régulier par l'employeur. Il est donc obligé de travailler le nombre de jours prévus par la convention. Si votre employeur vous pousse à dépasser le plafond légal qui est de 235 jours, vous pourrez poursuivre l’entreprise aux prud’hommes afin d’obtenir des dommages et intérêts.

La loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 de ratification des ordonnances Macron permet aux accords de performance collective de modifier ou de mettre en place des forfaits annuels en jours afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition (C. trav., art L. 2254-2).
Si la mise en place de cet aménagement est supérieure à une semaine, les dispositions du Code de travail relatives au forfait jours doivent s’appliquer (C. trav., art. L.3121-58 et suiv). Le refus du salarié de signer une convention de forfait, même sur le fondement d’un accord de performance collective, ne saurait constituer un motif de licenciement.


Si le forfait cadre semble permettre une autonomie à ces bénéficiaires, il peut être en pratique nuisible pour le salarié cadre (II).

 
II- Le forfait jours, un accord qui peut s’avérer défavorable pour le salarié

 
Le désavantage du forfait cadre est en pratique visible sur le paiement des jours de repos (A), ainsi que le droit à la déconnexion (B).

A) Concernant les jours de repos

Les cadres sont payés lorsqu’ils renoncent à leur jour de repos uniquement lorsque l’accord collectif (ou celui qui fixe les prérogatives du forfait jours des salariés) contient une disposition sur le renoncement. Le salarié conclue alors avec son employeur un avenant à la convention de forfait, et détermine le taux de majoration des jours supplémentaires travaillés, sans qu’il puisse être inférieur à 10 %. Si le salarié cadre décide de renoncer à ses jours de repos, il ne pourra pas travailler plus de 235 jours dans l’année.

En revanche, il est à noter que si l’accord collectif ne prévoit pas de dispositif pour le renoncement, le salarié n’a pas intérêt à renoncer à ses jours. Il sera dispensé de toute majoration. De ce fait, un nombre de jours de repos doit être déterminé chaque année pour respecter le nombre de jours travaillés prévu dans la convention de forfait. Cependant, la détermination de ce nombre de jour doit respecter un mode de calcul bien précis.
 
Règles de calcul du nombre de jours de repos du salarié cadre soumis au forfait jour pour l'année 2023 :
Le nombre de jours de repos est calculé en retranchant le nombre de jours de travail prévu au contrat au nombre de jours ouvrés pouvant être travaillés dans l'année.
 
  1. Il faut commencer par calculer le nombre de jours ouvrés pouvant être travaillés
 
 Le nombre de jours ouvrés pouvant être travaillés est calculé de la manière suivante :
(Nombre de jours calendaire) - (nombre de samedi et dimanche + nombre de jours ouvrés de congés payés + nombre de jours fériés tombant un jour ouvré) = nombre de jours ouvrés pouvant être travaillés.


Pour l’année 2023 :
  • Nombre de jours calendaires dans l'année : 365 jours.
  • Nombre de jours hebdomadaires non travaillé (exemple samedi et dimanche) : 105 jours.
  • Nombre de jours ouvrés de congés payés (pour une entreprise octroyant 5 semaines de congés payés légaux) : 25 jours.
  • Nombre de jours fériés tombant un jour ouvré : 9 jours.
 
Le calcul est donc le suivant :
365 - (105+25+9) = 226 jours
 
Il y’a donc 226 jours pouvant être travaillés sur l’année 2023.
 
  1. Il reste donc à soustraire le nombre de jours travaillés prévus au contrat
Si le salarié conclu une convention de forfait en jours sur la base de 218 jours, le nombre de jours de repos est alors calculé de la manière suivante :
(Nombre de nombre de jours de travail prévu au contrat) - (nombre de jours ouvrés pouvant être travaillés dans l'année) = nombre de jour de repos du salarié cadre soumis au forfait jour.
 
Le calcul est donc le suivant :
226 - 218 = 8 jours.
 
Un salarié cadre durant l’année 2023, dispose donc de 8 jours de réduction du temps de travail (RTT) supplémentaires, à ajouter à ses jours de repos hebdomadaires ainsi que ses congés payés. En prenant en compte une entreprise octroyant à son salarié cadre 5 semaines de congés payés légaux, ainsi que deux jours de repos hebdomadaires. Les jours de RTT supplémentaire peuvent donc varier d'une année sur l'autre et d’une convention collective à l’autre.

En outre, le forfait cadre dans certaine mesure ne permet pas au salarié cadre de bénéficier de son droit à la déconnexion (B).

B) Concernant le droit à la déconnexion
 
Contrairement aux idées reçues, le cadre soumis au forfait jours, a droit à un temps de repos quotidien, le temps de repos d’un salarié cadre soumis au forfait jour est de 11 heures consécutives d’après les dispositions de l’article L 3131-1 du Code du Travail. Il doit être rappeler que les cadres sont les premiers concernés par l’hyperconnexion. Selon le baromètre UGIC-CGT – SECAFI publié en novembre 2020, ils sont 76 % à indiquer utiliser pour un usage professionnel les nouvelles technologies sur leur temps personnel. Plus encore, 69 % d’entre eux souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion effectif. Dans les entreprises de moins de 200 salariés, ils sont 81 % à s’estimer être soumis à des durées excessives de travail (contre 70 % pour les entreprises de plus de 200 salariés).

Cependant il est important de noter que le droit à la déconnexion est, par extension, un droit au repos. Pour un cadre extrêmement sollicité il reste donc possible de faire valoir ce droit et miser sur le fait que l’employeur a l’obligation de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé mentale de ses salariés ». L’employeur ne peut pas obliger ses salariés à travailler pendant leurs congés.
 
Par ailleurs, l’article L3121-65 du Code du travail exige que l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. Pour ce faire l’employeur est dans l’obligation d’organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Rappel juridique : La Cour de cassation se tient en garde-fou de la protection du salarié cadre, elle a rappelé dans une décision récente « qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d’une convention de forfait en jours, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier de jours effectivement travaillés par le salarié. Le juge ne peut, pour rejeter une demande de paiement de jours travaillés, se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et que l’employeur est tenu de lui fournir » Chambre sociale, du 2 Juin 2021,19-16067
 
Vous êtes cadre soumis au forfait jours et vous pensez que votre employeur ne respecte pas votre droit à la déconnexion. Le Cabinet d'avocat Zenou, expert en droit social  localisé dans le 20e arrondissement de Paris, saura prendre votre défense et vous accompagner tout au long de la procédure.

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