Dès lors qu’une entreprise développe une activité économique et commerciale, il est difficile de lui dénier la possibilité d’avoir une clientèle propre, susceptible, le cas échéant, d’être détourner. Les enjeux autour de la clientèle sont très importants pour les entreprises, en ce qu’il s’agit de l’élément fédérateur du fonds de commerce, autrement dit, la disparition de la clientèle entraine inévitablement la fin du fonds de commerce. Seule est prise en considération la clientèle constituée par l’ensemble de ceux qui s’approvisionnent habituellement auprès d’une entreprise déterminée et se distingue à cet effet de l’achalandage correspondant à une clientèle de passage. Ainsi, la clientèle prise en compte pour qualifier le détournement est celle qui est réelle, certaine, existante et personnelle.
Pratique participant à la désorganisation de l’entreprise, le détournement de clientèle comprend un ensemble de procédés déloyaux visant à capter la clientèle de son concurrent. En raison de l’absence de définitions légales et de textes d’incrimination, les sanctions sont prononcées sur le fondement notamment du principe de loyauté, du principe de bonne foi, de l’abus de confiance et sur la concurrence déloyale.
Il est parfois difficile de déterminer ce qui relève de la libre concurrence du détournement de clientèle. Pour rappel, la liberté de concurrence permet à tout commerçant d’attirer la clientèle et ce même celle de son concurrent, par tout moyen jugé loyal au regard du droit de la concurrence, sans pour autant engager sa responsabilité. Il faut savoir que la libre concurrence, corollaire de la liberté de commerce et d’industrie, est largement protégée par le droit national et le droit européen en ce qu’il favorise le développement économique. Pour vous éclairer sur cette notion, Maitre Johan Zenou, avocat en droit du travail à Paris 20e, revient pour vous sur les éléments de qualifications du détournement de clientèle (I) et les sanctions qui en découlent (II).
I. La qualification du détournement de clientèle
Le détournement de clientèle comprend plusieurs formes qui pour certaines sont déloyales par nature et pour d’autres il est nécessaire au préalable de rechercher des agissements déloyaux. Le caractère déloyal du procédé est laissé à l’appréciation souverain des juges. Il convient alors étudier successivement les formes les plus répandues pour mieux cerner les situations de détournement de clientèle.
Le démarchage de clients n’est pas par nature considéré comme du détournement de clientèle. En effet, par une jurisprudence constante, la Cour de cassation a jugé que le démarchage de clients est en principe licite à moins qu’il ne soit accompagné de procédés déloyaux (
Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-16.936). A titre d’illustration, est considéré comme un démarchage de clients illicite, l’agent d’assurance qui, deux après sa démission, démarche avec succès le principal client de son ancien employeur (
Cass. com., 18 juin 1991 89-15.629).
- Le détournement de fichiers clients
Le détournement du fichier client d’un concurrent est un procédé déloyal quoi s’il en soit et ce peu importe que le démarchage soit ou non massif ou systématique. (
Cass. com., 12 mai 2021). A titre d’exemple, est considéré comme du détournement de fichiers clients, la société qui laisse son salarié se servir du fichier clientèle de son ancien employeur (CA Paris 24-10-2002 : RJDA 5/03 n° 555).
- Le détournement de commandes
Le détournement de commandes consiste en l’appropriation d’une commande destinée à une entreprises précise par l’utilisation de procédés déloyaux. Il s’agit par exemple du salarié qui présente une demande devis au client qu’à l’expiration de son contrat de travail afin qu’il puisse réaliser lui-même la prestation (
Cass. com., 16 juin 1965 n°62-10.823).
- La confusion par imitation
L’imitation d’un produit constitue un acte déloyal si elle a l’origine d’une confusion dans l’esprit de la clientèle soit entre les entreprises concurrentes, soit entre les marchandises ou les services distribués. Cette forme de détournement de la clientèle est aujourd’hui de plus en plus fréquente en raison de l’émergence de procédés commerciaux tels que le drop shipping ou encore à la distribution en ligne. Ces pratiques peuvent être considérés comme de la concurrence déloyale lorsqu’elles prennent notamment l’apparence de sites miroirs des plateformes déjà existantes ou par la vente de produit créant la confusion dans l’esprit du consommateur. Attention cependant, puisque la Cour de cassation considère que la commercialisation de produits similaires à ceux d’un concurrent à un prix inférieur n’est pas fautif en soit puisque la libre concurrence permet à tout commerçant de fixer les prix qui lui semblent souhaitables. (
Cass. com., 15 mars 2017, n°15-21.268).
A noter qu’en principe, lorsqu’un produit n’est pas protégé par un droit privatif à savoir un brevet, sa reproduction, même par un concurrent, n’est pas considérée comme un acte déloyal. (
Cass. com., 16 mai 2000 n° 98-10.230). De la même manière, les ressemblances dans la fabrication et la présentation de produits ou services concurrents justifiées par considérations techniques ou économiques légitimes ne sont pas des actes déloyaux.
- Le dénigrement du concurrent
Le
détournement de clientèle peut avoir pour origine un acte de dénigrement du concurrent. C’est à cet effet que la Cour d’appel de Lyon a défini le dénigrement comme une «
affirmation malveillante dirigée contre un concurrent dans le but de détourner sa clientèle ou plus généralement de le nuire dans un esprit de lucre » (CA Lyon, 21 mai 1974 : JCP éd. G 1974, IV, p. 336).
Le dénigrement est considéré comme un acte de concurrence déloyale dès lors qu’il est rendu public et que le client soit en mesure d’identifier clairement le commerçant ou le groupe de commerçants qui en est victime (
Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-13.870).
- La création d’une entreprise concurrente
En principe, à la fin de la relation de travail, un salarié est en droit de créer sa propre entreprise, et ce même en ayant une activité similaire à son ancien employeur, dès lors qu’il n’est pas tenu par une clause de non-concurrence.
Bon à savoir : En tant qu’employeur, vous pouvez prévoir une clause de non-détournement de clientèle ayant pour objet d’interdire à votre salarié de détourner votre clientèle à la fin de la relation de travail. Contrairement à la clause de non-concurrence, elle n’interdit pas au salarié de travailler au sein d’une entreprise concurrente ou de créer sa propre entreprise. Cependant, dans certaines circonstances, la création d’une entreprise concurrente par un salarié peut être considérer comme un procédé déloyal à l’origine d’un détournement de clientèle. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le seul fait de participer à la création d’une entreprise concurrente pendant l’exécution du contrat de travail constitue un acte déloyal dès lors que l’employeur n’en a pas été avisé et ce même si l’activité n’est censée débuter qu’à la rupture du contrat de travail (
Cass. soc., 17 oct. 2000, n° 98-41.732). En revanche, la salariée, qui en informe son employeur, a un comportement loyal. (
Cass., soc., 3 mai 1994, n°92-42.660).
- Les sanctions du détournement de clientèle
Le détournement de clientèle peut faire l’objet à la fois de sanction non-judiciaires (A.) et de sanctions judiciaires (B.). Quoi qu’il en soit la charge de la preuve appartient à la victime (C.).
- Les sanctions non-judiciaires
Afin de préserver leur image et éviter par la même occasion les désagréments d’un procès, il n’est pas rare pour les entreprises concernées de mettre fin au litige par le biais d’une procédure amiable consentie dans le but de trouver un arrangement financier afin de réparer le préjudice subi. Cet accord amiable peut être conclu entre les entreprises concurrentes mais également entre l’entreprise et le salarié toujours en activité ou l’ancien salarié qui serait à l’origine du détournement de clientèle.
En parallèle, lorsqu’un acte déloyale donnant lieu à un détournement de clientèle est imputable à un salarié en activité au sein de l’entreprise. L’employeur est en mesure de le licencier pour faute grave voire faute lourde s’il parvient à établir son intention de nuire. Ce licenciement résulte du manquement à son obligation de loyauté inhérente au contrat de travail. Dans ce cas, l’indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis ne sont plus versées au salarié.
Exemple : La faute lourde est retenue à l’égard d’un directeur commercial qui utilisait à des fins personnelles et sans contrepartie le matériel de l’entreprise dans le but de prospecter la clientèle de la société (Cass. soc., 11 mai 1999, n°97-41.576).
- Les sanctions judiciaires
La victime d’un détournement de clientèle issue d’acte de concurrence déloyale doit introduire une action en responsabilité délictuelle fondée sur les articles
1240 et
1241 du Code civil afin d’obtenir la réparation de son préjudice par le versement de dommages-intérêts. Au cours de cette audience, le juge peut également ordonner sous astreinte la cessation du comportement déloyale. Si l’employeur est une victime, peut demander le versement de dommages-intérêts sur le fondement de l’obligation de loyauté.
A savoir : Une action est référée est ouverte à la victime qui se trouve face à une situation de dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. En outre, le détournement de clientèle peut également constituer un abus de confiance sanctionné au titre de l’article
314-1 du Code pénal par une peine de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amendes. (
Cass. crim., 22 mars 2017 n° 15-85.929).
- La charge de la preuve
Pour pourvoir engager la responsabilité délictuelle de l’auteur de la faute à l’origine du détournement de clientèle. Il faut au préalable déterminer :
- La faute de l’auteur
- Le préjudice de la victime
- Le lien de causalité entre la faute et le préjudice
La charge de cette preuve repose sur la victime qui doit apporter des éléments suffisamment tangibles sans quoi l’acte déloyal ne peut être retenu. Par exemple, la chambre commerciale de la Cour de cassation n’a pas retenu le détournement de clientèle par un ancien salarié qui démarchait les clients de son précédent employeur au motif que l’existence de manœuvres déloyales n’avait pas été démontrées (
Cass. com., 23 oct. 2007 n° 05-17.155).
Vous pensez faire l’objet d’un
détournement de clientèle ? N’hésitez pas à contacter le
Cabinet Zenou,
avocat en droit du travail à Paris 20
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