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Préjudice d’anxiété : L’ombre invisible qui pèse sur les salariés

Préjudice d’anxiété : L’ombre invisible qui pèse sur les salariés

C’est une douleur qui ne se voit pas sur les radios, un mal qui ne laisse aucune cicatrice apparente, et pourtant, il ronge le quotidien de milliers de salariés. Le préjudice d’anxiété, cette « épée de Damoclès » suspendue au-dessus de ceux qui ont été exposés à des substances toxiques, est devenu un terrain de bataille juridique majeur en France.

Longtemps, le juge a refusé d’indemniser les préjudices purement moraux, estimant, selon une formule restée célèbre, que « les larmes ne se monnaient pas ». En droit social, seuls les dommages corporels avérés ou les pertes économiques objectivables ouvraient classiquement droit à réparation.

Le drame de l’amiante est venu bouleverser cette approche. Face à l’exposition massive de travailleurs à un risque mortel, responsable de plusieurs milliers de décès, le juge ne pouvait se résoudre à laisser sans réparation les salariés vivant dans la crainte permanente de voir se déclarer une maladie grave. Par un arrêt fondateur du 11 mai 2010, la Cour de cassation a  reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété. Le préjudice d’anxiété couvre la souffrance psychologique d’un travailleur qui vit dans l’angoisse permanente de développer une maladie grave en raison son exposition à des substances nocives.

Maître Johan Zenou expert en droit du travail vous décortique dans cet article de savoir qui peut s’en prévaloir (I), comment le prouver (II), et suivant quels montants le juge indemnise l’anxiété (III). 


I- Qui peut invoquer un préjudice d’anxiété ? 

Deux régimes distincts s’appliquent aux travailleurs victimes de préjudice d’anxiété. Le premier concerne le salarié exposé à l’amiante dans un établissement classé ouvrant droit à l’ACAATA (A), le second concerne tous les salariés exposés à l’amiante dans des établissements non classés, ou exposé à toute autre substance nocives ou toxiques, qui seront soumis à un régime probatoire plus exigent (B).

A) Les salariés exposés à l’amiante dans un établissement classé amianté

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a créé le dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Ce dispositif permet à certains salariés exposés à l’amiante de bénéficier d’une retraite anticipée. 

Pour en bénéficier, le salarié doit avoir été exposé au sein d’un établissement ayant fait l’objet d’un classement ministériel ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ACAATA . Cela lui permet de bénéficier d’un régime de présomption probatoire: le salarié n’aura pas à justifier de son exposition à l’amiante, ni du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, ni de l’existence et de l’étendue du préjudice qui s’apprécie objectivement.

Si vous êtes dans cette situation, vous devrez remplir une demande d’allocation. La Cramif ou la Carsat dispose ensuite d'un délai de 2 mois pour se prononcer sur votre demande d'ACAATA. Si vous remplissez les conditions pour bénéficier de l'allocation, elle procède à une estimation du montant brut mensuel de votre allocation. Le montant brut de l’ACAATA est calculé sur la base d’un salaire mensuel de référence égal à la moyenne actualisée des salaires mensuels bruts de vos 12 derniers mois d'activité salariée. Vous êtes libre d’accepter ou non la proposition. Attention, l’absence de réponse de votre part dans un délais de 2 mois sera considérée comme un refus.

B) Les autres salariés exposés à des substances nocives ou toxiques

Face à l’exclusion de nombreux salariés exposés à l’amiante mais non couverts (SNCF, EDF, Monnaie de Paris, marins, mineurs à charbon, sous traitants…), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a étendu le préjudice d’anxiété à tout salarié qui démontre une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et un préjudice d’anxiété personnellement subi. En effet, par plusieurs arrêts du 11 septembre 2019 (Cass. Soc., 11 sept. 2019, n° 17 24.879 et s.), la chambre sociale a jugé que : 


« Le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. »


Ainsi, tout autre travailleur, dont l’établissement n’a pas fait l’objet d’un classement ministériel, peut invoquer un préjudice d’anxiété à condition de : 

  • Prouver leur exposition à une substance nocive ou toxique
  • Celle-ci devant générer un risque élevé de pathologie grave.
  • Enfin, le préjudice d’anxiété doit être personnellement subi : il ne s'apprécie plus objectivement, mais subjectivement. 


Enfin, la Cour de cassation retient que le délai de prescription court à compter de la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition (Soc. 8 juill. 2020, no 18-26.585). 

L’ancienne règle, qui réservait le préjudice d’anxiété aux seuls salariés relevant du régime ACAATA, est abandonnée au profit d’un régime général fondé sur l’obligation de sécurité et la preuve de l’exposition et du préjudice.

L’employeur pourra s’exonérer de sa responsabilité, mais seulement s’il démontre avoir pris toutes les mesures prévues aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du Travail, soit des mesures de prévention, informations, protection et organisation adaptée. 

 

II- Comment est évaluer le préjudice d’anxiété ? 


Face à un préjudice aussi difficile à saisir, la question l’évaluation doit se poser.

Comment évaluer un préjudice moral, quelle méthode retiennent les juges ? 


En réalité, les juge procèdent à une évaluation in concreto, c’est-à-dire qu’ils vont se baser sur la situation concrète du requérant pour évaluer son préjudice. Il n’existe pas, à ce jour, de barème légal. Cependant, la jurisprudence et la doctrine ont dégagés plusieurs critères structurants. 


D’abord, les juges prendront en considération l’intensité et la durée de l’exposition au risque. Plus l’exposition est longue, proche dans le temps (exposition récente) et intense (forte concentration du produit, contact fréquent, absence ou insuffisance de protections), plus le préjudice d’anxiété sera élevé. 


Ensuite, le montant de l’indemnisation du préjudice d’anxiété varie selon la gravité potentielle de la pathologie redoutée (cancers mortels, pathologies irréversibles, atteintes graves à la fertilité, etc.) et la probabilité de réalisation : plus le dommage à l’origine de l’anxiété a de chance de se réaliser, plus l’indemnisation sera importante. 

Les juges examineront l’impact de l’anxiété sur la vie quotidienne du requérant. Notamment si le requérant doit subir régulièrement des contrôles et examens médicaux, lesquels réactivent inévitablement son anxiété. Aussi, les juges peuvent s’intéresser aux modifications de projets de vie à cause de l’anxiété (déménagement, renoncement à certains choix de carrière, projets familiaux…). Les juges pourront prendre en considération les troubles du sommeils, état dépressif, isolement social qui peuvent être attesté par des examens, certificats, ou témoignages des proches.


Pour prouver votre anxiété, vous disposez de tous les moyens. Veillez à conserver tous les éléments médicaux (certificats, suivi médical…) et de contexte (attestations de proches décrivant les manifestations de votre angoisse, fiche de poste témoignant des conditions d’exposition, décès de collègues…). En retenant une évaluation du préjudice, la Cour s’éloigne des forfaits automatiques, favorisant une individualisation de l’indemnisation. 


III- Quelle indemnisation, suivant quelle procédure ? 

 

La procédure pour bénéficier de la reconnaissance de son préjudice d’anxiété, ainsi que le montant de l’indemnisation qui en résulte diffère suivant que vous êtes salariés d’un établissement ACAATA (A), ou non (B).

A) Le régime des salariés d’un établissement ACAATA

Pour les salariés d’un établissement classé amiante ACAATA, la Cour de cassation instaure une triple présomption en faveur de l’indemnisation du salarié. Le salarié n’a à prouver ni l’exposition, ni la faute, ni l’existence et l’étendue de son préjudice. L’indemnisation découle de manière quasi automatique de l’appartenance à un établissement classé, une fois la prescription respectée.


Si votre salaire mensuel de référence est inférieur à 3 925 €, l’ACAATA est égale à 65 % de votre salaire de référence. Sinon, l’ACAATA est égale à 2 551,25 € auquel s'ajoute 50 % de la part de votre salaire de référence comprise entre 3 925 € et 7 850 €. La part de votre salaire de référence supérieure à 7 850 € n'est pas prise en compte. 

Comment précédemment évoqué, vous êtes libre d'accepter ou non cette proposition. Attention, en l'absence de décision de votre caisse dans le délai de 2 mois, la demande est considérée comme rejetée. Une fois votre demande d’allocation des travailleurs de l'amiante acceptée par la Cramif ou la Carsat Sud Est, vous devez démissionner pour partir en préretraite et percevoir l'allocation.


Vous avez droit à un préavis dont la durée est la même que celle prévue en cas de licenciement. De même, vous avez également droit à une indemnité de cessation d'activité, d'un montant égal à celui de l’indemnité de départ à la retraite à l'initiative du salarié (sauf disposition conventionnelle plus favorable). Cette indemnité est exonérée de cotisations et de l'impôt sur le revenu.

Par ailleurs, vous êtes obligatoirement mis à la retraite et l'Acaata cesse de vous être versée lorsque vous avez le nombre de trimestres d'assurance retraite exigé pour avoir droit à une retraite à taux plein et au plus tôt à 60 ans. A noter que vous pouvez demander à être mis à la retraite dès que vous atteignez 60 ans. Si vous n'avez pas le nombre de trimestres d'assurance retraite exigé pour avoir droit à une retraite à taux plein, votre pension de retraite est soumise à une décote.

Vous êtes obligatoirement mis à la retraite au plus tard à 65 ans même si vous n'avez pas le nombre de trimestres d'assurance retraite exigé pour avoir droit à une retraite à taux plein. Dans ce cas, votre pension de retraite vous est accordée à taux plein. (c'est-à-dire sans décote).

B) Les salariés soumis au régime de droit commun 

Les autres travailleurs devront réunir la preuve de ce qu’ils ont été exposés à une substance nocive ou toxique, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, dont il doit être établi que le préjudice d’anxiété en résultant est personnellement subi et causé par un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. 


En ce qui concerne le montant de l’indemnisation, la loi ne prévoit pas de barème officie, mais permet de dégager des ordres de grandeur. Les montant d’indemnisation se situent généralement entre 3 000 et 15 000, avec une moyenne donc autour de 7 000€. Des décisions de conseils de prud’hommes ou de cours d’appel attribuent 4 500 € à d’anciens mineurs de fer exposés à des substances cancérigènes (non amiante), 7 500 € par salarié à 378 anciens salariés d’une fonderie (préjudice d’anxiété amiante), pour un total de 2 835 000 €, 10 000 € par salarié pour 150 anciens salariés d’une usine exposés à l’amiante, dans certains contentieux, des montants approchant 15 000 € par salarié pour le seul préjudice d’anxiété des travailleurs de l’amiante. 


Il est important de noter que ces montant sont indicatifs, car le juge statu souverainement sur chaque cas qui lui est soumis. A noter aussi, le cumul avec d’autres préjudices moraux est impossible. A titre d’exemple, il n’est pas possible rechercher une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à un risque, et un préjudice moral supplémentaire lié au risque de la maladie.

Une exception dégagée par la Cour de cassation le 8 février 2023 (Cass. soc., 8 févr. 2023, n° 21 14.451). La Cour a admis qu’en plus du préjudice d’anxiété subi, il est possible de solliciter des dommages et intérêt pour atteinte à sa dignité. 

Le Cabinet Zenou, expert en droit social à Paris 12ème, vous accompagnera dans toutes les démarches pour obtenir la plus juste indemnisation de votre préjudice d’anxiété.

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