C’est un paradoxe qui fait grincer les dents des DRH et des avocats spécialisés en droit social. Alors que le Code de la sécurité sociale dresse une liste précise des pièces devant composer le dossier d’instruction d’une maladie professionnelle, la réalité des tribunaux est tout autre. L'absence de certificats médicaux, pourtant essentiels à la compréhension de la pathologie, ne suffit plus à faire tomber une décision de prise en charge.
Entre rigueur textuelle et pragmatisme judiciaire, cette enquête de Maître Johan Zenou expert en droit de la sécurité sociale décrypte comment l’absence des certificats médicaux pourtant piliers du dossier d’instruction est devenue un manquement toléré par les juges, redéfinissant ainsi les contours du principe du contradictoire au détriment de la sécurité juridique des entreprises.
La procédure d’instruction d’une maladie professionnelle est gouvernée par le principe du contradictoire. Pour que l’employeur puisse contester utilement le caractère professionnel de la maladie, il doit avoir accès aux éléments qui ont fondé la conviction de la Caisse.
L'article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale dispose que le dossier constitué par la Caisse doit comprendre :
L'enjeu est de permettre à l'employeur de vérifier la concordance entre la pathologie diagnostiquée et les tableaux de maladies professionnelles, ou de s'assurer que les critères de durée d'exposition ou de délai de prise en charge sont respectés.
La jurisprudence est constante : seul le Certificat Médical Initial est indispensable pour définir l'objet de l'instruction. Si le CMI est présent et permet à l'employeur de connaître la nature de l'affection, l'absence des certificats médicaux ultérieurs (prolongations, certificats de rechute) n'est généralement pas jugée suffisante pour entraîner l'inopposabilité de la décision.
Pour justifier ces lacunes, les Caisses Primaires d’Assurance Maladie (CPAM) déploient un argument quasi imparable : le secret médical. Les certificats contiendraient des informations trop personnelles que l’employeur n’aurait pas à connaître. Pourtant, la loi a prévu un garde-fou. Si l’employeur ne peut accéder directement à certaines données, il peut mandater un médecin expert pour les consulter. Mais la pratique montre que la CPAM utilise souvent ce secret non pas pour protéger le salarié, mais pour masquer des approximations procédurales.
La jurisprudence récente a d'ailleurs porté un coup dur aux employeurs. En 2024, la Cour de cassation a confirmé que certains examens techniques (comme l'audiogramme pour les surdités) n'ont pas à figurer au dossier si leur teneur a été interprétée par le médecin-conseil.
Souvent, les Caisses justifient l'absence de certains documents par la protection du secret médical. Le juge considère souvent que si l'employeur n'a pas usé de son droit de consultation ou n'a pas désigné de médecin pour accéder aux pièces couvertes par le secret, il ne peut se prévaloir de leur absence pour invoquer une irrégularité.
Pourquoi ce manquement reste-t-il impuni ? Plusieurs raisons juridiques et pratiques expliquent cette position de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
Pour obtenir l'inopposabilité, l'employeur doit souvent démontrer que l'absence de la pièce lui a causé un grief, c'est-à-dire qu'elle l'a empêché de contester la décision de manière éclairée. Si la pathologie est clairement identifiée par d'autres pièces du dossier (avis du médecin conseil, rapport de l'enquêteur), le juge considère que le principe du contradictoire a été respecté dans sa substance, à défaut de l'être dans sa forme littérale.
La reconnaissance du caractère professionnel de la maladie est une chose ; son impact sur le taux de cotisation "Accidents du Travail / Maladies Professionnelles" (AT/MP) de l'entreprise en est une autre. Les tribunaux tendent à protéger la décision de prise en charge pour ne pas léser le salarié, tout en restreignant parfois les possibilités pour l'employeur de voir la décision annulée pour un simple vice de forme documentaire.
C’est sans doute l’un des points les plus débattus. L'employeur souhaite souvent consulter les certificats de prolongation pour vérifier si l'arrêt de travail ne cache pas une pathologie indépendante (état antérieur).
Dans son arrêt du 11 mai 2023 (n° 21-17.788), la Cour de cassation a réaffirmé une distinction nette : les certificats de prolongation n’ont pas pour objet de déterminer le caractère professionnel de la maladie, mais seulement de justifier les soins et l'indemnisation. La conséquence : Leur absence du dossier d'instruction n'entraîne pas l'inopposabilité de la décision, car ils ne sont pas considérés comme des éléments "susceptibles de faire grief" à l'employeur au moment de la reconnaissance de la pathologie.
L'audiogramme est l'examen clé pour le Tableau n° 42 (surdité professionnelle). Pendant des années, son absence était une cause automatique d'inopposabilité.
Revirement (Cass. 2e Civ., 13 juin 2024, n° 22-22.786) : La Cour a opéré un virage important. Elle considère désormais que l'audiogramme, s'il a été analysé par le médecin-conseil, n'a pas à figurer physiquement dans le dossier administratif consultable par l'employeur.
Le motif : la teneur de cet examen relève du diagnostic médical technique. L'employeur peut contester l'avis du médecin-conseil par une expertise médicale judiciaire, mais ne peut plus invoquer un vice de procédure pour son absence dans le dossier initial.
La date de la "Première Constatation Médicale" (PCM) et l'enjeu de l'absence de certains certificats est souvent lié à la vérification des délais de prise en charge.
La Cour rappelle que la date de la PCM est fixée souverainement par le médecin-conseil de la Caisse. Même si l'employeur ne dispose pas du document source exact (par exemple un compte-rendu d'examen ancien), la décision reste opposable si la note de synthèse du médecin-conseil figure au dossier et mentionne cette date.
Cette absence de sanction crée une insécurité pour les entreprises. En l'absence de certificats médicaux de prolongation, l'employeur ne peut vérifier si les soins et arrêts prescrits sont toujours en lien direct avec la maladie professionnelle initiale ou s'ils résultent d'un état pathologique antérieur indépendant.
La Cour de cassation a récemment rappelé que "le non-respect par la caisse de son obligation d'information n'entraîne l'inopposabilité de sa décision que s'il est de nature à nuire à la défense de l'employeur".
Face à ce constat, certains appellent à une réforme profonde de l'instruction. Si les certificats médicaux ne sont plus le pivot de la procédure, il faut alors donner d'autres moyens de contrôle aux entreprises.
Les pistes de réflexion :
L’absence des certificats médicaux dans le dossier de maladie professionnelle est devenue le symbole d’un droit de la sécurité sociale qui cherche à protéger avant tout la victime, quitte à sacrifier les droits de la défense de l’employeur.
Si l'intention louable est d'éviter que des victimes ne soient privées de droits pour des erreurs administratives, le système actuel crée un sentiment d'injustice pour les employeurs. Le message envoyé est clair : le formalisme ne doit pas entraver la prise en charge. Mais à force de vider les dossiers de leurs preuves, c'est toute la crédibilité du système de tarification qui pourrait, à terme, être remise en cause.
Pour les entreprises, cette situation impose une vigilance accrue lors de la phase de consultation du dossier. Il ne suffit plus de constater une absence de pièce.
Le Cabinet ZENOU, expert en droit du travail à Paris 20ème, vous aide à démontrer en quoi cette lacune empêche techniquement la contestation de la maladie.
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