Employeurs gare au délit d'entrave

Employeurs gare au délit d'entrave
Dans la sphère des relations de travail, certaines infractions incriminées dans le Code pénal tel que le vol, le harcèlement sexuel ou moral, ou encore les atteintes à l’intégrité physique, trouvent évidemment à s’appliquer. À ces infractions, il faut ajouter celles que l’on trouve incriminées dans le Code du travail. Parmi ces dernières figurent notre sujet du jour : le délit d’entrave. C’est l’infraction « star » des relations collectives de travail (relation entre l’employeur et les acteurs de la représentation du personnel). Elle présente, de par son caractère ouvert, un risque pénal important qu’il serait fort imprudent de négliger.

Pour appréhender ce risque et assurer au mieux la défense de l’employeur, il convient d’identifier les éléments constitutifs de l’infraction, et (plus rapidement) sa répression.
 

I.L’identification des éléments constitutifs de l’infraction

 
Traditionnellement, on identifie une infraction selon trois éléments : légal, matériel et intentionnel.
 
L’élément légal :
 
Ici, la difficulté réside dans le fait qu’il existe non pas un délit d’entrave mais des délits d’entrave. Ils concernent autant la représentation élue du personnel (le CSE et ses membres), la représentation syndicale (les organisations syndicales et leurs représentants dans l’entreprise) ou encore les salariés qui exercent un mandat représentatif externe à l’entreprise (les conseillers prud’hommes par exemple).
 
Sans prétendre à l’exhaustivité, voici les principales infractions :

L’entrave relative à la représentation syndicale :
 
L’article L. 2146-1 du Code du travail réprime le fait d’entraver l’exercice du droit syndical tel que défini par les articles L.2141-4, L.2141-9 et L.2141-11 à L.2143-22.
 
Sont ainsi incriminés les délits :  
 
  • D’entrave à l’action des organisations syndicales : on vise ici l’action et la liberté d’organisation dont disposent les organisations syndicales en vertu de l’article L.2141-4 du Code du travail.
  • D’entrave à l’exercice du droit syndical tel qu’il est défini aux article L. 2141-11 à L.2141-22 du Code du travail : on vise la violation des dispositions relatives à la désignation et aux attributions des délégués syndicaux dans l’entreprise.
 
L’entrave relative à la représentation élue du personnel :
 
L’article L. 2317-1 du Code du travail réprime le fait d’apporter une entrave, soit à la constitution d’un comité social et économique (qu’il soit central ou d’établissement), soit à la libre désignation de leurs membres, notamment par la méconnaissance des dispositions des articles L. 2314-1 à L. 2314-9. Le texte réprime également le fait d’entraver le fonctionnement régulier de ces institutions.
 
Sont ainsi incriminés les délits :
 
  • D’entrave à la constitution du CSE.
  • D’entrave au fonctionnement du CSE.
 
L’entrave à l’exercice d’un mandat externe par les salariés : l’exemple du conseiller prud’hommes.
 
L’article L. 1443-1 du Code du travail réprime le fait de porter atteinte ou de tenter de porter atteinte soit à la libre désignation des candidats, la nomination des conseillers prud’hommes, soit à l’indépendance ou à l’exercice régulier des fonctions de ces derniers.
 
L’élément matériel
 
Les éléments légaux que l’on vient d’exposer souffrent d’un défaut regrettable : la notion d’entrave n’y est pas définie, donnant ainsi aux délits d’entrave une matérialité ouverte et laissant aux juges le soin de déterminer, quel comportement caractérisera l’infraction. À ce titre, la jurisprudence admet de manière constante que l’infraction peut se réaliser par tous moyens (acte positif ou abstention).
 
Bien qu’il soit impossible d’énumérer de manière exhaustive ces comportements, on peut en donner quelques exemples :
 
La méconnaissance du statut protecteur
 
L’article L. 2411-1 du Code du travail donne la liste des salariés qui bénéficient, d’un statut protecteur au titre de l’exercice d’un mandat représentatif : ces salariés ne peuvent faire l’objet d’un licenciement qu’après l’autorisation de l’inspection du travail sollicitée préalablement par l’employeur. Le licenciement d’un salarié protégé sans autorisation ou après un refus d’autorisation caractérise un délit d’entrave.
 
L’entrave à la représentation syndicale
 
Constitue le délit d’entrave à l’action des organisations syndicales le fait pour l’employeur :
 
  • De diffuser une note à l’attention de ses salariés dont le seul objet est de critiquer la constitution d’une section syndicale au sein de l’entreprise.
  • De s’abstenir de mettre des locaux à disposition des syndicats présents dans l’entreprise.
 
Constitue le délit d’entrave aux fonctions des délégués syndicaux le fait pour l’employeur :
 
  • De contester la désignation de ce dernier par d’autres moyens que la voie judiciaire.
  • De prendre des mesures contre le délégué syndical destinées à l’isoler.
 
L’entrave à la représentation élue
 
Commet le délit d’entrave à la constitution du CSE l’employeur qui :
 
  • N’a pas pris l’initiative d’organiser les élections professionnelles.
  • S’oppose au bon déroulement de ces élections.
  • Tente de dissuader les électeurs de voter.
 
Le délit d’entrave au fonctionnement du CSE peut porter sur le fonctionnement même de l’instance mais également sur ses membres. Concernant le fonctionnement de l’instance, l’employeur doit par exemple mettre à la disposition du CSE, un local lui permettant d’exercer ses fonctions, ou encore l’informer et le consulter notamment pour des décisions qui intéressent l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise.

Commet ainsi le délit d’entrave l’employeur qui :
 
  • Met à la disposition du CSE un local dont le caractère exigu ne lui permet pas d’exercer ses fonctions.
  • Ne délivre pas ou délivre une information lacunaire qui ne permet pas au CSE de rendre son avis en connaissance de cause.
  • Ne consulte pas le CSE sur l’existence de projets d’aménagements nouveaux modifiant de manière significative l’organisation générale de l’entreprise et les conditions de travail au sein de celle-ci.
 
Concernant les membres du comité sociale économique CSE, ces derniers disposent par exemple d’heures de délégations considérées, comme du temps de travail effectif et rémunérées en tant que tel ou encore d’un droit de circuler librement dans l’entreprise.

Commet en conséquence le délit d’entrave l’employeur qui :
 
  • Refuse aux membres du CSE l’accès à des locaux de travail en vue de vérifier la régularité des mesures de sécurité.
  • Ne paye pas les heures de délégation ou ne le fait que partiellement.
 
L’entrave à l’exercice des fonctions prud’homales
 
Commet, par exemple, le délit d’entrave à l’exercice des fonctions prud’homales l’employeur qui refuse à un conseiller salarié une autorisation d’absence pour se rendre à une audience.
 
L’élément intentionnel
 
Le délit d’entrave est une infraction intentionnelle, il est donc nécessaire de caractériser la volonté de l’auteur de violer, les règles qui gouvernent la désignation et l’action, la constitution et le fonctionnement, des institutions représentatives du personnel. Néanmoins la jurisprudence facilite la caractérisation de cet élément, en ce qu’il est admis de manière constante que l’intention résulte non du but recherché, mais du seul caractère délibéré de l’action ou de l’abstention. Le juge ne recherchera donc pas une intention de nuire, mais seulement le caractère volontaire de l’acte ou de l’omission de sorte qu’en pratique l’intention sera, le plus souvent, déduite de la commission de l’élément matériel.
 
Il faut garder à l’esprit que l’entrave est une infraction formelle : c’est le comportement qui est réprimé peu importe le résultat.
 

II. La répression de l’infraction

 
Les auteurs
 
Les textes ne visent pas un auteur en particulier : toute personne peut commettre un délit d’entrave, même si en pratique c’est le chef d’entreprise qui y est le plus souvent exposé. En outre, lorsque l’infraction est commise par le représentant légal d’une personne morale, la responsabilité pénale de celle-ci, en plus de celle des personnes physiques ayant agi pour son compte, est susceptible d’être engagée dans les conditions de l’article 121-2 du Code pénal.
 
Les peines encourues
 
S’agissant des personnes physiques, les peines encourues sont notamment :
 
  • 1 an de prison et 3750 euros d’amende pour l’entrave à l’exercice du droit syndical et l’entrave à l’exercice des fonctions prud’homales.
  • 1 de prison et 7500 euros d’amende pour l’entrave à la constitution du CSE.
  • 7500 euros d’amende pour l’entrave au fonctionnement régulier du CSE.
  • 1 an de prison et 3750 euros d’amende pour la violation du statut protecteur.

Le salarié pourra également solliciter devant le Conseil de prud’hommes :
 
  • Soit sa réintégration assortie d’une indemnité correspondant aux salaires qui auraient dû être perçus pour la période allant du licenciement jusqu’à sa réintégration.
  • Soit le paiement, en plus des indemnités de rupture « classiques » (de licenciement et de préavis), d’une indemnité réparant le préjudice d’un licenciement, illicite qui ne peut être inférieur à 6 mois de salaire, ainsi qu’une indemnité pour violation du statut protecteur (plafonnée à 30 mois de salaire par la jurisprudence) : les sommes peuvent être considérables.
 
S’agissant des personnes morales, les peines d’amendes encourues sont celles encourues par les personnes physiques mais multipliées par 5.
 
Des incriminations multiples et éparpillées dans le Code du travail, une matérialité ouverte et une intentionnalité qui s’en déduit, la caractérisation des délits d’entrave s’en trouve grandement facilitée : le risque pénal est extrêmement fort pour l’employeur. À titre préventif il est donc indispensable de connaitre l’ensemble des règles relatives, à la désignation et l’action ainsi qu’à la constitution et au fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

Maitre Zenou, avocat spécialisé en droit du travail à Paris 20ème, est là pour vous informer et vous conseiller sur l’ensemble de ces questions. De même, si vous êtes présumé auteur d’un délit d’entrave, il assurera la défense de vos intérêts autant devant le juge pénal que le juge prud’homal.

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